La toubib avait rapidement changé ses inhibiteurs pour le mod anti-corruption, ses balles traçant des sillons au sein de la horde. Un M-35 Mako surnommé Conqueror lui ouvrait un large boulevard vers leur cible principal. Son canon résonna à nouveau transformant les ombres en une vaste purée organique. Elle avançait vers la seule et unique cible qui comptait : Aria.
Un mur de feu s'éleva à plusieurs dizaines de mètres de sa position, éclairant le pénombre tel un phare guidant les bateaux. Sur l'affichage du docteur nombre des vétérans de Valkyrie avait viré au gris signe qu'ils n'étaient plus de ce monde. Le nom de Gallagher s'afficha dans la zone critique. Elle eu un mauvais pressentiment.
«
McKnight à Conqueror. Laissez moi m'accrocher à vous. A une heure de votre position. Soixante mètres. Emmenez moi là bas.-
Reçu ! »
Grimpant sur le blindé, elle frappa du poing contre le chassis. Ce dernier se mit aussitôt en branle, son auto-mitrailleuse fauchant les rangs devant lui. L'humaine se tenait couchée sur le toit, préférant éviter de trop attirer l'attention. Le stress lui tordait les boyaux.
Le tank s'arrêta au milieu d'un cercle de dépouilles. Arcadia reconnut l'armure d'Amnatiss. Elle sauta, écrasant un cadavre au passage, se précipitant vers sa collègue. Malgré un état lamentable, la vie continuait à exister sous cette armure. Cela tenait presque du miracle. Pour autant la pression ne retombait pas de ses épaules. Son état était grave, elle pouvait lui filer entre les doigts d'un moment à l'autre.
«
Dr McKnight, j'ai besoin du medivac, en urgence ! »
A nouveau on lui répondit par l'affirmative. Le Mako luttait vaillamment, protégeant le médecin qui s'appliquait à prodiguer les premiers soins en attendant l'arrivée du camion. Broyant les ennemis sous ses roues, dispersant façon puzzle les Ombres. Mais c'était comme retenir une vague avec les mains. Pour un tué, deux autres prenaient sa place et un troisième passait outre le dispositif.
«
Colonel ! Ils arrivent sur vous ! »
Arcadia se releva, son lance flamme entre les mains. Sa gueule bouillonnante fit apparaître une langue de feu avide, léchant la peau nue de la horde grouillante. Laissant sa patiente pour empêcher la masse de les massacrer toutes les deux. Un pas après l'autre, son arme ratissait large, se jetant sur ses ennemis comme un jet d'eau sur des pétunias. Épaulant le char, ce dernier se plaçait en bouclier lui évitant les tirs d'armes des Immortels restants. Finir ici, mourir alors qu'elle aurait pu quémander une place dans un hôpital de campagne, sans honte et attendre. Depuis le début des hostilités, elle soignait pour soulager, plus pour guérir. La soigneuse se demandait si elle survivrait à cette journée, ou si elle crèverait dans les minutes à venir. Une petite noix aplatie sur le sol de Chasca par cette ruche, nettement, crac, la boîte crânienne ouverte. Ce serait bien, rapide. Son corps était tendu par le stress mais aucun signe de détresse ne transpirait d'elle depuis plus d'une dizaine de minutes. Elle n'avait plus de spasmes. Elle était au-delà. Dans la quasi certitude d'y passer.
Tout du moins ce fut jusqu'à ce qu'une aide improbable surgisse. Urdnot Ante, le diplomate Krogan, utilisa sa masse comme un bélier, enfonçant la première ligne. D'autres pilotes survivants s'étaient ralliés au reptile, ouvrant le feu sur les Ombres. Ce soutien inespéré fut comme un baume au cœur pour la combattante, voir toutes les espèces s'unir pour lutter contre une seule et même menace avait quelque de réjouissant.
Le transport médical pointa le bout de son nez, plus haut et plus lourd que la moyenne, il s'enfonça telle une lance dans la marée, expulsant des corps désarticulés de chaque côté de sa calandre. Avant de se stopper net devant la praticienne.
«
Grimpez vite ! »
Il ne fallut pas le dire deux fois. Attrapant sa subalterne elle retourna à l'intérieur du bloc. Le camion repartit en trombe avant d'être secoué brutalement, manquant de faire faire tomber la blonde malgré le magnétisme de ses bottes.
«
Oh bordel, ils se jettent sous les roues. On est embourbé. Active la contre mesure du camion.-
C'est fait ! Je grimpe à la tourelle.-
Sortez nous de là, rugit la Martienne en sortant du sas de décontamination, alors que le moteur fulminait pour se sortir de cette amas de chair.
-
J'essaie mais ça bouge pas ! -
Putain ils reviennent à la charge !-
Conqueror au medivac. Accrochez vous ! On va vous sortir de là. »
Le tank cogna durement à l'arrière du transport, bousculant les occupants de la remorque. Le colonel serra Amnatiss contre elle pour éviter qu'elle ne s'abîme plus qu'elle ne l'était déjà. L'hôpital mobile s'extirpa du charnier, poussé par le blindé s'éloignant de la zone de combat.
McKnight déposa Gallagher sur la table d'opération, première blessée à souiller le blanc immaculée de la table. Seule, sans aide expérimentée il allait falloir faire vite. Le casque de la biotique vola dans la cabine, alors que Arcadia s'appliquait à découper l'armure au laser mettant à nue le corps de la combattante, lui plaquant un masque sur le nez pour l'anesthésier. Le scanner se déplia analysant le corps de la femme.
Pendant ce temps Arcadia se débarrassa de ses gantelets ainsi que de son propre casque, enfilant une tenue de bloc opératoire complète par dessus son armure. Le médecin chirurgien était bel et bien de retour.
Couvrant le corps d'un drap chirurgical, elle l'ouvrit tout le long de l'abdomen
«
J'ai besoin d'un assistant ici! Magnez vous les fesses j'ai pas toute la journée ! »
Elle vit le copilote arriver timidement, ne sachant pas trop ou se mettre. C'était un humain, jeune. La chirurgienne le jaugea du regard. Que savait-il faire ? Tenir les écarteurs ? Lui apporter les instruments ? Clamper ? La vraie question était : Quand est-ce que petit jeunot tomberait dans les pommes, laissant échapper les écarteurs et plongeant tête la première dans le ventre ouvert du patient allongé sur la table ? Les gens étaient si peu résistants dès qu'ils voyaient les boyaux à l'air.
«
Prend une tenue petit, et prépare toi. »
Arcadia commença par une injection de nano-robot près de la cage thoracique, évaluant la gravité des fractures costales,du pneumothorax qui n'avait pour ainsi dire pas bonne mine, ainsi que du point de la fuite d'air. Thoracascopie oblige donc.
«
Scalpel ! »
Le soldat prit une expression terrifié en lui tendant l'outil de travail, elle pratiqua deux ouvertures d'un doigté à faire pâlir n'importe lequel de ses collègues, puis y inséra des écarteurs.
«
Pince endoscopique ! Non pas la laparascopique ! L'autre ! Et l'agrafeuse avec ! Celle dans le casier deux ! »
Plongeant les instruments dans la cage thoracique de sa patiente, elle procéda à l'ablation des bulles d'air, les perçants à l'aide de son agrafeuse chirurgicale. Ses yeux étaient rivés sur l'écran qui lui transmettait les images nettes des caméras robotiques. Plus rien ne comptait pour elle. Coupée des communications, l'UCIP aurait pu triompher comme perdre elle n'en savait rien. L'isolement acoustique du camion permettait de se concentrer sur son travail sans être dérangé par les combats.
«
Compresse et Povidone ! Dans le placard en haut. »
Bien pour l'instant il suivait le rythme mais combien de temps cela allait durer ? Oh, elle le découvrirait bien assez tôt. La praticienne frotta la plèvre avec la compresse sèche puis appliqua le produit, créant une réaction inflammatoire et une adhérence entre le poumon et la paroi. Le temps défilait sans qu'elle ne s'en rende compte, nageant dans son élément, la pression de perdre quelqu'un la rendant bien plus performante.
Elle sutura les orifices cutanés, sa petite comptine en tête. Le rouge sur le rouge, le jaune avec le jaune le blanc avec le blanc. Garde bien ses règles en tête, et ça se passera très bien, puis inséra deux drains pleuraux dans la cavité pleurale, reliés à une valise stérile, permettant d’aspirer l’air et les sécrétions pleurales postopératoires.
Une machine se mit à biper furieusement indiquant un trouble du rythme cardiaque. Étouffant un juron, la blonde se jeta sur le défibrillateur, collant une électrode sur la clavicule droite l'autre sous l'aisselle gauche. Deux tentatives plus tard, la fréquence cardiaque revint à un rythme normal. Elle souffla de soulagement, essuyant la sueur qui perlait de son front à l'aide d'une compresse.
Le travail n'était pas terminé, plusieurs aiguilles vinrent de planter pour soulager la douleur des fractures de la cage thoracique. Le choc avait été violent mais pas suffisant pour décorer les lobes pulmonaires de fragments osseux.
Faisant à nouveau parler le scalpel, elle pratiqua une laparotomie très professionnel, suffisamment grande pour y travailler, suffisamment petite pour ne pas laisser une cicatrice trop profonde. Moins propre que le laser, elle n'avait surtout pas le luxe du temps, l'appareil restait très lent pour une incision. Les boyaux se retrouvèrent à l'air libre, dégageant une odeur forte, résultat d'une perforation intestinal.
La belle conséquence d'un coup au ventre, elle admirait la blessure comme un collectionneur devant ses trésors. Heureusement qu'elle savait comment transporter les éclopés, sinon il y en aurait bien plus dehors... Enfin elle présumait.
«
Eh bien alors fiston ? Pourquoi fais-tu cette mine ? Tu ne connaissais les femmes que de l'extérieur, jusqu'à maintenant ?-
Perforation de la paroi intestinal, recomm...-
Diagnostique aussi pertinent qu'évident, coupa t-elle l'IV.
Inutile même de regarder, il suffit de renifler. Allez plus vite l'éponge ! Tu vois bien que ça coule ? Putain retiens toi ! Les sacs sont là bas ! NON ! Ne lui vomis pas dessus ! »
Bousculant son assistant pour éviter le carnage, il lâcha la première partie de son déjeuner sur le sol, emplissant le compartiment d'une nouvelle odeur qui se mêla à celle des entrailles percées. Elle colla une bassine sous le nez du jeune homme, qui reprit de plus belle. Elle fronça les sourcils, en voyant de nouveau une fibrillation imminente.
«
Par la peste, rugit Arcadia en bondissant et balançant le scalpel.
Pourquoi ? Pourquoi ça doit se passer ainsi, putain ? »
Personne ne pouvait répondre à cette question alors que le cœur d'Amnatiss cessa de battre. S'acharnant avec l'énergie du désespoir, luttant contre la mort elle même telle une chatte protégeant ses petits, elle arracha le lieutenant des griffes de la faucheuse, la faisant revenir de par delà le Styx. Lâchant des larmes de joie face à son triomphe.
«
Dépêche toi de finir avec ton vomi petit ! On a encore du pain sur la planche. »
Considérant le trou dans le gros intestin, blessure qui rappelons le, avait été infligée en l'espace d'une fraction seconde, il fallait néanmoins attirer l'attention sur le temps qu'il allait falloir pour mener à bien cette opération. Une excellente matière de réflexion ! Une résection donc. La greffe viendrait plus tard et dans un endroit bien mieux équipé.
Surveillant le rythme cardiaque de Gallagher, son scalpel commença à découper le boyau avec minutie. L'endroit précis se trouvait juste entre le côlon descendant et le côlon sigmoïde. A nouveau elle sentit la sueur perlait sur son front. Elle ne pouvait pas lâcher ce qu'elle faisait maintenant.
«
Essuie moi les yeux et le visage, avant que ça ne tombe là dedans ! »
Reprenant son office avec ardeur, elle finit par enlever le morceau d'intestin incriminé, le laissant retomber mollement dans un plateau. L'agrafeuse chirurgical s'invita de nouveau, liant à nouveau les deux parties dans une union organique. Suture, suture, suture... Puis un adhésif chirurgical.
Elle regarda le temps écoulé entre le début de l'opération et le moment actuel. Elle traînait trop, Amnatiss ne pouvait pas rester plus longtemps sous anesthésie générale. Elle avait déjà grignoté plus de quarante minutes de temps additionnel. Le travail qu'elle avait abattu à elle seule était colossal mais restait un désastre en terme de respect horaire sur le plan médical.
L'essentiel du travail interne avait été réalisé, ne restait plus que l'amputation d'une partie du bras droit. Dont la chair avait fondu, sous la chaleur, endommageant le tissu jusqu'à l'os... Il allait falloir sectionner sans anesthésie. La patiente allait se réveiller d'une minute à l'autre, son cerveau serait peut-être étourdie mais la douleur serait bien là.
Attrapant le laser de découpe, elle cintra sa patiente à la table d'opération. L'outil correctement positionné juste en dessous du coude, elle l'alluma. D'un geste résolu, elle mania le pointeur qui pénétra dans la chair et sectionna en profondeur. La blessée se réveilla, hurla.
C'était une femme mais son cri n'avait rien d'humain.
Arcadia se laissa tomber sur une couchette, éreintée par la tâche qu'elle venait d'accomplir. Sa subalterne se reposait dans un caisson de soins, elle avait failli à nouveau lui claquer entre les doigts, deux fois. Deux fois elle la sauva. Malgré les soins apportés, le pronostic vital restait engagé, incertain. La Martienne ne pouvait rien de faire de plus. C'était à sa patiente de se battre maintenant. Si elle n'était pas assez forte, alors elle y perdrait la vie.